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Au
total, l'Association s'était suffisamment
développée pour entretenir une série de
bâtiments et de lieux de conservation -- bibliothèque,
musée, cabinet de collections d'estampages et de
photographies -- qui tous étaient situés
dans l'enceinte même de la Citadelle de Huê.
Les membres de l'Association étaient donc en
contact direct avec la Cour, ses ministères et
ses archives, avec le monde des rites, des
élites et du passé de l'Etat central vietnamien.
Les Amis du Vieux Huê n'ont jamais été bien
nombreux (46 adhérents en 1914, 249 en 1918, 429
en 1925 puis de moins en moins à partir de cette
date), mais la composition des membres de
l'Association est extrêmement intéressante,
d'autant qu'elle recoupe largement la composition
du lectorat du Bulletin : comme ce dernier était
mal diffusé, il était essentiellement lu par
les membres qui le recevaient automatiquement.
Signalons d'abord que les Vietnamiens étaient
peu nombreux : environ 20 à 30 % des membres,
avec un pic à 40 % en 1920 (126 personnes) ; de
plus, neuf membres vietnamiens sur dix
appartenaient au monde du haut mandarinat central
qui était employé à la Cour, autant dire aux
" voisins " de l'Association. Typique
est, en ce sens, la figure de Nguyên Dinh Hoè.
Ce n'est qu'après 1936 que l'on constate
l'arrivée de nouveaux membres, donc d'un nouveau
lectorat, avec l'apparition de riches
commerçants et, surtout, des professions
libérales. La très grande majorité des membres
français était constituée de fonctionnaires de
l'administration coloniale (et notamment le
groupe des Administrateurs des Services Civils)
; en 1925, ils représentaient près de 44 % des
adhérents de l'Association contre 19 % de la
population active européenne. Pour résumer,
retenons que les Amis du Vieux Huê regroupaient
essentiellement des Français, des
fonctionnaires et l'élite cultivée de la
société vietnamienne d'alors.
La collection complète du Bulletin des Amis du
Vieux Huê impressionne d'abord par son
importance : de janvier 1914 à juin 1944,
l'on ne dénombre pas moins de 120 volumes
totalisant environ 13 000 pages de texte, 2800
planches hors-texte et 700 gravures dans les
textes, en noir et en couleurs. Il s'agit
donc là d'une collection qui, par bien des
aspects, rappelle l'entreprise parallèle que fut
le Bulletin de l'Ecole Française
d'Extrême-Orient. Entre les deux, les
différences sont toutefois sensibles et il
convient de rappeler ici comment le Père
Cadière jugeait lui-même son " uvre
intérieure " : " Le
Bulletin n'est pas une publication de haute
critique, mais plutôt un organe de vulgarisation
" (BAVH, 1925, Index). Et en
effet, le Bulletin des Amis du Vieux Huê visait
avant tout non point l'érudit mais, plus
simplement, l'honnête homme désireux de
s'informer et curieux de connaître les récentes
découvertes, les données du folklore ou de
l'ethnologie, les épisodes marquant de
l'histoire ancienne du Viêt Nam
Ce souci
d'informer se traduit concrètement par la très
fréquente insertion de notes, de "notules
" et de " notulettes
" qui constituent aussi l'un des attraits du
Bulletin : notes sur la fabrication des poteries
du Bình-Dinh (1927), note sur un sceau royal
retrouvé en France (1937), notes sur les puits
et les bassins en pierres brutes de Gio-Linh
(1937) et encore l'ensemble des notes sur les
monnaies, les cachets, les costumes des mandarins
ou des gens du peuple
Le Rédacteur, le
Père Cadière, lançait sans cesse des appels
aux bonnes volontés afin d'alimenter en notes le
Bulletin qui, ainsi, enregistrait régulièrement
les petits faits de la recherche qui fonde la
science. Il faut aussi insister sur l'extrême
diversité des sujets abordés par le Bulletin.
Le lecteur s'aperçoit très vite que tout y est
évoqué et qu'aucun domaine n'échappe vraiment
à l'intérêt des auteurs : histoire,
ethnologie, folklore, vie quotidienne, monuments,
religion, géographie... Cause d'un certain
éparpillement qui n'est d'ailleurs pas
déplaisant pour le lecteur, ce parti pris de la
diversité fut très tôt affiché par le
Bulletin et l'on peut en trouver l'illustration
dans la maquette qui servit de couverture aux
cinq premiers numéros : Sur cette couverture,
l'on voit apparaître une série de symboles qui
annoncent assez bien les centres d'intérêt du
Bulletin (voir BAVH, 1914-1) : l'Histoire, la
géographie, l'ethnologie, les études
religieuses, les beaux-arts et les études
littéraires.
Il n'est que de se référer à la table
générale des matières pour bien prendre la
mesure de la quantité et de la diversité des
informations contenues dans le Bulletin de cette
petite association. L'uvre est immense mais
elle est aussi suffisamment diverse, vivante, et
même amusante parfois, pour donner au lecteur
l'envie de s'y promener au gré des articles, des
documents originaux, des notules et des
notulettes, et découvrir, en toile de fond,
l'extraordinaire richesse de la culture
vietnamienne.
Dessin réalisé par M.
Cosserat
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